lundi 20 mai 2019

Le silence des photos (7): l'echpélouquéro

Une photo réussie est une photo qui raconte à chacun une histoire, peut être une histoire différente pour chacun. Il y a quelques jours, nous vous invitions à écrire ce que vous disent les photos. Voici un  texte signé Mado Rolland. Vous aussi, envoyez nous vos contributions. 


L'effeuillage du Maïs

Photo: Pierre Duffour
Mi-octobre, les journées sont plus courtes, les travaux des champs ont avancé, les vaches et les brebis sont revenues des estives, la nature commence à se replier sur elle-même en vue de l'hiver.

La charrette chargée des épis de maïs recule dans la cour,  les vaches (la paire comme on dit) connait bien la manœuvre et suit les Ah... les Oh..  du fermier. Une odeur agréable s'élève des épis de maïs encore enrobés de ces  feuilles souples et dures à la fois avec au bout une espèce de moustache que les enfants s'approprient et apposent sur leur lèvre supérieure jouant « aux moustaches « 
 Le tombereau est soulevé par une simple manœuvre (cliquet sur le timon) par le fermier. Il ouvre le panneau arrière et les épis s'écoulent et forment un tas dans un coin de la cour.

Armé d'une toile (litière) en jute les épis sont amenés dans une pièce attenante à la cuisine familiale où trône l'immense cheminée auroise.
Ce soir les voisinnes vont venir aider à effeuiller les épis. Les enfants sont heureux et jouent, se bousculent sachant qu'ils vont pouvoir veiller, jouer avec les feuilles arrachées aux épis et le must boire le bon chocolat chaud.
Vingt et une heures, les voisines arrivent. Il y a Marie R. gentille grand-mère assez enveloppée et qui va nous raconter Paris et les recettes de cuisine qu'elle concoctait lorsqu'elle était cuisinière là bas   avant de revenir finir ses jours avec son mari dans ses  montagnes.
Sa sœur Catherine austère et aussi mince que sa sœur est ronde. Elles arriveront avant la fin de la soirée à se chamailler sur un simple sujet : la nourriture.
L'autre Marie voisine très prévenante, douce  et qui à nous enfants, nous paraît être le type même de la grand-mère et puis Mam la grand-mère qui ressemble à la « tante Marie » dessinée sur les buvards que nous donne parfois l'épicier. Toutes se mettent en demi-cercle autour du tas d'épis de maïs assises sur des chaises basses et le défeuillage des épis peut commencer
Il a les épis simples ou mal en point qui vont aller s'entasser dans des paniers d'osiers et qui une fois égrénés serviront de nourriture  pour des volailles et des agneaux à engraisser. Mais il y a en premier les beaux épis où l'on garde quelques feuilles permettant de les attacher par deux ou par trois.
Puis la grand-mère de la maison qui excelle dans ce domaine , confectionne des tresses avec les plus jolis épis. Nous enfants sommes ébahis par ses mains noueuses qui dressent  un vrai chef-d'oeuvre. Tresses entreposées au grenier où elles seront conservées précieusement car les grains en majorité vont servir pour la semence l'année suivante ou tout simplement seront amenés au moulin pour faire de la farine.  Farine de maïs qui servira à cuisiner le fameux « millas ».
Le père sort au fur et à mesure dans la litière les feuilles mortes où nous les enfants nous aimons nous rouler au risque de nous faire gronder.
Les conversations vont bon train sur la vie locale en général... et déjà onze heure plus un épi à dépouiller. La mère a quitté la pièce depuis quelques minutes et là sur la cuisinière fume la casserrole pleine du bon lait fourni par la vache gardée chaque année pour son lait qui alimente la famille. Et voilà  la plaquette du bon chocolat noir sortie du placard, la mère râpe ce chocolat dans le lait ; nous avons le droit de manger les quelques copeaux qui restent.
Une odeur agréable s'élève dans la pièce. les voisines toutes regroupées autour de la table apprécient la chaleur de la cheminée mais encore plus le bon chocolat chaud épais contenu dans le bol qu'elles tiennent dans leurs mains caleuses et qui nous réchauffe  tous. Le tout agrémenté des fameux biscuits pyrénéens « l'Arbison ». Les conversations s'apaisent, peu à peu la chaleur du chocolat étend une sorte de légère torpeur.
Oui, il est temps de rentrer chacun chez soi et retrouver son lit douillet en attendant l'année prochaine.
Enfants, enivrés de conversations, d'odeurs du maïs pas encore sec, du bon chocolat épais nous rêvons dans nos lits des magasins, des plats décrits par Marie la cuisinière et parfois un frisson nous saisit quant  nous revient l'histoire des loups qui sillonnaient la vallée il y a fort longtemps  dont a parlé le grand-père  venu boire son bol de lait.     M. ROLLAND

1 commentaire:

Julien LAURENT a dit…

Merci Mado de nous replonger dans ce passé lointain de notre enfance par cette évocation bien écrite et agréable à lire.