vendredi 10 mai 2019

Le silence des photos (4): le métier à ferrer

JDR Bourisp

Une photo réussie est une photo qui raconte à chacun une histoire, peut être une histoire différente pour chacun. Il y a quelques jours, nous vous invitions à écrire ce que vous disent les photos. Voici un  texte de Michel Gros Dumaine.


Allongé sur le canapé, je regarde cette vieille photo longtemps restée silencieuse.
... J'entends le vent du soufflet. Le crépitement des braises dans la forge. Le tintement du marteau sur l’enclume. Je devine l'arpète qui actionne la branloire. Attise le feu. Son patron tord le métal rougi. Le plonge dans le seau rempli d’eau. Un bouillonnement, une vapeur. L’odeur forte, âcre, de la houille grasse. À nouveau la pièce de métal, les braises incandescentes. Le soufflet qui couine.
L'arpète transpire. Des perles d’eau coulent le long de ses joues. Je ris. J'ai chaud, aussi. Une douce chaleur qui attise le sommeil. Je ne veux pas dormir. Je veux entendre, sentir, encore. La forgequi bat comme mon cœur. Qui offre sa force. Je ferme les yeux. Pour mieux entendre. Pour mieux sentir. Tout. Comme ce claquement, au loin, qui se rapproche. Clac, clac. Clac, clac. Lent et rythmé. Lourd. Qui descend la grande rue du village. Qui tourne à l’angle de la forge. Tout proche. Je devine. Un cheval qui vient. Du travail pour le maréchal-ferrant. L'arpète aussi entend. Il sort. Salue le propriétaire. Attache la longe à l’anneau. Sur le mur des halles du village en face de la forge. Le percheron piaffe. Il occupe tout le travers de la rue. Soulève légèrement un antérieur. Son fer, usé, se détache du sabot. Racle le sol. Le maréchal-ferrant sort de la forge. La tricoise à la main. Son tablier de cuir, lustré par l’ouvrage, brille au soleil. « Un fer ? dit-il. » Le paysan opine. J'entend. Quand il fait sauter les vieux clous avec le couteau. Décolle le fer avec sa tricoise. Pare le pied. Gratte l’intérieur du sabot à l’aide du boutoir. Le cheval est calme. La mouchette inutile. Quelques coups de râpe égalisent le sabot. Il est fragile. L'homme utilise des clous à poils. Le bruit de l’enclume, à nouveau. L'arpète et son patron préparent le fer. J'attend le fer chaud au bout de la tenaille. L’odeur de corne brûlée quand le maréchal-ferrant égalise la sole. L'arpète trempe le fer dans l’eau pour le refroidir. Quelques coups de brochoir, de marteau pour les clous. Le rogne-pied encoche la corne. Le bout du clou est replié. La râpe fignole. L’affaire est faite. Le paiement à la Saint-Sylvestre. Le paysan connaît la tradition. « Il est vieux ton cheval. Faudra que tu penses à en changer ! », lance le maréchal-ferrant au cul de la bête qui s’en retourne... 
Et puis le silence à nouveau.

Michel Gros Dumaine
(Variations autour d'un thème de Staccato ex memoriaaux Éditions du Bord du Lot)

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