mercredi 19 juin 2019

Le silence des photos (13): la sérénité

Une photo réussie est une photo qui raconte à chacun une histoire, peut être une histoire différente pour chacun. Il y a quelques jours, nous vous invitions à écrire ce que vous disent les photos. Voici un  texte signé Joseph G.. Vous aussi, envoyez nous vos contributions.


 
La sérénité.

Juillet 2130. Les choses avaient bien changé en un siècle. Pourtant en 2019, après la révolte des gilets jaunes et un grand débat national, il avait été décidé de ne rien changer.

Ne rien changer précipita le changement: le réchauffement de la planète s’accéléra, les glaces fondirent, l’axe de rotation de la terre en fut perturbé. Bref, le niveau des eaux monta tant que la Méditerranée s’unit à l’Atlantique, et les plaines toulousaines furent noyées par une eau envahissant les terres jusqu’à une altitude de huit cents mètres.

Les toulousains s’étaient réfugiés sur les monts des Pyrénées, sorte d’Arche de Noé des temps modernes. Aragnouet devenue capitale régionale fut renommée Toulouse-en-Aragon. Un brouillard dense occultait en permanence toute vision au delà de cent mètres.

C’est ainsi que la plaine de Bourisp était devenue Toulouse-Plage et qu’en ce mois de juillet 2130, les touristes s’étaient rassemblés sur l’esplanade de la Prade pour l’ouverture de la 116ièmeédition des Journées du Reportage de Bourisp. Personne ne savait plus à quoi correspondait cette tradition, mais le spectacle faisait recette. Cette année des ingénieurs avaient mis en œuvre un procédé censé plonger les spectateurs dans le passé, en recréant de façon parfaite l’espace, les sons, les odeurs, l’ambiance et les sentiments de l’époque, à l’exception du sens de l’humour, dont les terriens avaient perdu toute notion.

La machine fut réglée à la date du 7 juillet 2019. Lentement, tours gigantesques, panneaux étincelants, visages blafards s’effacèrent en même temps que le brouillard dense qui enveloppait en permanence Toulouse-en-Aragon. L’angoissant décor de 2130 laissa la place au paysage de 2019.

Devant les spectateurs ébahis, un ciel d’un bleu profond apparut, peuplé de blancs cumulus, quelques stratus dentelés comme on n’en voyait plus soulignaient les reliefs, en hauteur un mamelon parsemé de belles granges se dessina au dessus d’une forêt vert tendre, et enfin des sommets jamais imaginés émergèrent. Tout près un joli torrent dévalait la pente. Un petit jardin bordé d’un petit canal. Une balançoire sur laquelle des enfants jouaient en riant. Des fleurs. A gauche apparut une petite maison joliment fleurie devant laquelle un homme du siècle dernier, affairé, tentait de démêler un grand nœud de ficelles bleues et blanches. Des gens curieusement vêtus se pressaient autour d’une baraque octogonale en bois chapeautée d’une toile rouge, au centre un homme avenant que le gens appelaient Jeannot servait à boire un liquide coiffé de mousse. Et le public détendu de ces temps révolus admirait des images bizarrement aplaties suspendues à des cordages. En 2019 on appelait ces représentations pour le moins primaires des « photos ».

Un curieux sentiment de bonheur et de plénitude envahit les cœurs, sensations inconnues jusqu’alors en ce 22ième siècle : la sérénité.

Joseph G.



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