mardi 25 juin 2019

Le silence des photos (14): le pèle-porc

Une photo réussie est une photo qui raconte à chacun une histoire, peut être une histoire différente pour chacun. Il y a quelques jours, nous vous invitions à écrire ce que vous disent les photos. Voici un  texte signé Denise. Vous aussi, envoyez nous vos contributions.


Le pèle-porc

Cette coutume qui couvrait toute la Bigorre avait lieu de décembre à février pendant la lune vieille, meilleur moment pour la conservation de la viande.

C’était samedi 20 février le pèle-porc chez Ricart.
Depuis plusieurs mois, on élevait deux cochons comme dans beaucoup de fermes de Bourisp, pour la consommation de l’année. Pour conserver cette viande, une solution : la salaison. Il n’y avait pas encore de réfrigérateur, encore moins de congélateur, seulement une cave bien fraîche.
L’on nourrissait ces porcs de pommes de terre, de betteraves, d’épluchures de légumes, de farine de maïs ou de blé. Que du bio !

Pour cette manifestation, plusieurs journées de préparatifs et de travail. Parents, voisins étaient conviés à cette fête.

La veille, le vendredi,  Louis préparait les couteaux, les racloirs, divers récipients, marmites, fourneau pour la provision d’eau chaude. La maie trempait dans la « Pachère ».
Les femmes avaient beaucoup de travail pour élaborer les divers repas : volailles, beignets, crèmes caramel, etc…

Le grand jour commençait par un casse-croûte vers huit heures, jambon « camajou », saucisson « budet », fromage, beignets.
François se préparait. Le porc était attaché avec une corde, deux hommes le tenaient par les oreilles, deux autres par les pattes arrière. Une fois immobilisé, François l’ « echnaraye » plantait le couteau dans un endroit bien précis de la gorge. Marie-Louise recueillait le sang dans un chaudron de cuivre. Le sang devait être battu, fouetté pour éviter la coagulation, puis  conservé pour la fabrication du boudin.
L’animal était placé dans la maie et ensuite arrosé d’eau bouillante. Les hommes utilisaient les racloirs pour raser les soies. Bien propre,  le porc était suspendu à une échelle pour le dépeçage. La tête était coupée puis le ventre était fendu pour récupérer les intestins, le foie, les poumons. 
Du travail pour les femmes : faire « courir le ventre » consistait à enlever la graisse, puis direction le lavoir pour nettoyer les boyaux à l’eau glacée. Ces boyaux constituaient la peau du boudin et des saucissons.
Vers quatorze heures, tout le monde se retrouvait autour de la table, bouillon, poule farcie, gigot de mouton, haricots tarbais, beignets, salade de fruits.
L’après-midi, on fabriquait le boudin. Dans un grand chaudron « cautère » cuisaient dans un bouillon de légumes et d’herbes aromatiques (persil, thym) le goulash, le poumon, la tête, l’estomac. Les viandes après avoir cuit toute l’après-midi étaient hachées, mélangées aux oignons, au sang. On rajoutait sel, poivre, muscade, quatre épices. A l’aide d’un entonnoir, on remplissait les boyaux, qui cuisaient ensuite environ une heure.
Le  soir, à vingt heures, on partageait un bon repas puis  les hommes jouaient aux cartes espagnoles (Truc y Flou), les enfants à des jeux de société. Les femmes bavardaient heureuses mais fatiguées.

Dimanche 21
François vers sept heures découpait les porcs en deux puis quatre. Les femmes triaient la viande, la longe, les épaules, les jambons, etc… Les beaux quartiers étaient destinés à être salés.
Il y avait deux tas de viande, maigre et gras, trois bassines contenaient le tas du saucisson, de la saucisse, du pâté.
Marie-Louise et Paulette se consacraient à la confection des saucissons, on remplissait le hachoir, les boyaux étaient remplis avec précaution (faire attention qu’il n’y ait pas de poches d’air). Baptistine ligaturait les boyaux (ficelles coupées à la  même longueur). 
Tout était préparé avec minutie : le dosage du sel et du poivre était essentiel  à la réussite et à la conservation de ces charcuteries.
Louise et Bernadette préparaient les pâtés à base de viande, de foie, le tout haché finement. Ensuite elles remplissaient les bocaux et il fallait les stériliser deux heures.
Les hommes préparaient les ventrêches (poitrine salée et roulée), les confits, petits salés, cuits dans la graisse et conservés dans des pots en grès, plus tard au congélateur.
Le jambon lui était enduit de sel et gardé dans le saloir vingt-et-un jours puis pendu dans des sacs de toile.

Le lundi dans la pièce (débarras) on suspendait les saucissons, les saucisses. Après avoir séché un bon mois, ils étaient conservés dans de la cendre et utilisés pour les goûters, les jours de fêtes. Le « budet », quel régal !
Louise faisait fondre la graisse et la gardait dans des pots en grès, graisse utilisée tout au long de l’année, remplacée de nos jours par l’huile d’arachide.
Les fritons, maman les préparait avec les pommes de terre.
Il y avait le présent pour Monsieur le Curé, l’Instituteur, mais pour les voisins et amis, comme disait Pierre, de sacrées journées.

Lorsque on se penche sur ce passé, on éprouve de la nostalgie. Le pèle-porc était un moment de travail, un moment important, de grande activité, d’entraide et de solidarité. Les traditions nous relient aux personnes que nous avons connues, aimées qui nous ont donné des valeurs solides : le travail bien fait, le secret du savoir vivre et du vivre ensemble.

Denise maison Ricart

2 commentaires:

filou a dit…

Scène de nettoyage des boyaux au lavoir de Guchan dans les années 50. Ma grand-mère y est présente ainsi qu'une cousine, premier violon au Capitole de Toulouse et qui contemple la scène :-)

Nettoyage de boyaux au lavoir de Guchan

Unknown a dit…

Je pense bien connaître François !👍