mercredi 26 juin 2019

Le silence des photos (15): des histoires de barrage, de boue et d'assassin

Une photo réussie est une photo qui raconte à chacun une histoire, peut être une histoire différente pour chacun. Il y a quelques jours, nous vous invitions à écrire ce que vous disent les photos. Voici un texte signé Jeanne B. Vous aussi, envoyez nous vos contributions.


Des histoires de barrage, de boue et d’assassin…

L’eau s’insinuait sous la porte de ma chambre, envahissait peu à peu toute la surface du plancher puis montait inexorablement. Bientôt elle atteindrait les couvertures puis un tourbillon m’entraînerait vers des abîmes sans fond. J’étais terrorisée. Le barrage de Cap de Long avait cédé. 

Mon sang s’insinuait partout dans ma chambre, souillant mes pantoufles et ces jouets que je n’aurais pas dû laisser traîner. Ma tête et mes pieds cuisaient dans la lessiveuse fumante. Il était revenu, l’assassin d’Arreau, et il me découpait comme un poulet le dimanche. 

La boue s’insinuait sous la porte de ma chambre, envahissait tout l’espace, aspirant mes vêtements, mon cartable et mon vélo rouge, puis recouvrait mon visage et m’enveloppait toute entière. J’étais aveugle et paralysée. J’allais être pétrifiée comme les pauvres gens de mon livre sur Pompéi. Voilà que cela recommençait, la boue qui avait envahi Ancizan arrivait ici. C’était notre tour. 

Ces cauchemars ont accompagné mon enfance. Sans doute parce que ces histoires hantaient l’esprit des adultes : le 26 février 1953 les assassins d’Arreau perpétraient leur crime, le 15 août 1953 une coulée de boue dévastait Ancizan, en 1953 s’achevaient les travaux du barrage de Cap de Long.

En 1953, j’étais enfant.

Jeanne B.

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