vendredi 12 juillet 2019

Je me souviens (1): la savonnette Cadum

Jeudi 11 juillet, dans un environnement de cent photos de Bourisp au siècle dernier, chacun s'est attaché à écrire ses souvenirs lors d'un atelier d'écriture animé par Marie-Claude. Ce sont ces productions que nous vous présentons à compter d'aujourd'hui. Voici un texte de Laurence de Guchan.

La savonnette Cadum

Je me souviens de l’univers de mon enfance, de cet état totalement ouvert où toute mise en contact avec une expérience nouvelle induit la curiosité, l'interrogation spontanée, la mise en action immédiate.

Je me souviens de la maison de ma grand-mère Marie, le bruit de la porte à loquet sur lequel il fallait appuyer fort avec le pouce, la petite cuisine au carrelage de ciment aux motifs entrelacés gris noir et rouge tomette, l’évier bas, le robinet unique en laiton.

Je me souviens des toilettes matinales devant la cuisinière à charbon, l’odeur de la savonnette Cadum, la chemise propre et bien repassée.

Je me souviens du jardin suspendu tellement odorant, parsemé de giroflées jaunes, de glaïeuls qui ornaient les bordures, de myosotis délicats. 

Je me souviens des poiriers alignés aux fruits gorgés de jus et des centaines de guêpes qui bourdonnaient autour.

Je me souviens de l’amour infini de cette grand-mère qui n’avait de cesse de nous câliner, de nous caresser, de nous complimenter et de nous confectionner des desserts à n’en plus finir, des pruneaux en jus, des compotes de pommes et de poires, des fruits au sirop.

Je me souviens de ces femmes : ma grand-mère, ma grand-tante Madeleine, les voisines, les cousines, vêtues si souvent
de noir et de couleurs sombres, marquées dans leur chair de mère, de sœur, d’épouse, par les décès multiples et successifs. Leurs robes sombres étouffaient la joie, le mouvement, la légèreté, ravivaient instant après instant, la désespérance, la tristesse, la souffrance.


Nous, ma cousine, ma sœur aînée et moi-même, étions un bouquet de joie qui éclairait leur quotidien de cet élan de vie dont elles s’étaient coupées. Nous les amenions à redécouvrir leurs désirs d’entreprendre et de faire ensemble : fabriquer des vêtements pour nos poupées, élaborer des petits des personnages avec des bobines de fil en bois, vides ; inventer des univers de bateaux en pleine mer sur les grands lits en bois hauts sur pieds, protégées par des parapets d’édredons.

Souvenirs entremêlés porteurs de la joie de l’enfance, du labeur des femmes, des souffrances rencontrées, de leur infini courage et de leur amour resté intact et puissant pour nous accompagner dans la découverte de notre vie.


Aucun commentaire: