Une
fois entré dans les montagnes, personne ne rencontre plus personne. Ce
n’est là que l’activité totale des montagnes. Il ne reste aucune trace
de quelqu’un une fois qu’il est entré dans les montagnes.
Maître Dogen
J’avais
attaqué mon périple, traverser les Pyrénées par la Haute Route, sans
vraiment comprendre le sens de cette phrase du fondateur de l'école Sōtō
du bouddhisme zen, que l'enseignant du dojo avait lu quelques jours
avant mon départ, mais je savais qu’elle m’accompagnerait tout au long
de ce voyage.
40 jours pour relier la Méditerranée à l’océan Atlantique en autonomie,
c’est le temps que je m’étais donné. 40 jours, le temps de la
transformation, ou de la disparition. 40 jours, c’est le temps de la
traversée du désert par Moïse, le temps du déluge, le temps de la
résurrection.
D’ailleurs, j’avais glissé dans mon sac le livre de Christian Bobin, Ressusciter. "Quand on voit ce monde on voit l’autre en transparence, comme le filigrane pris dans la trame du papier."
Ses phrases étaient limpides comme l’eau qui dégringolait des
montagnes. Il y parlait de son père avec beaucoup d’amour et de
bienveillance. "Je me suis penché sur la tombe de mon père et j’ai
appuyé ma main sur la pierre froide. Des nuages obscurcissaient le ciel.
Le soleil est apparu et il a posé sa main sur la mienne." Au fil des jours et des nuits, il m’a appris à regarder le mien différemment.
40 jours, la route était longue, et je n’avais rien d’autre à raconter
et à photographier que la montagne qui, peu à peu, s’obscurcissait,
disparaissait dans une brume épaisse. J’avais l’impression de m’y fondre
tel un fantôme.
Depuis enfant, j’ai toujours adoré tracer des lignes sur des cartes,
imaginer ce qui s’y cachait. Mon travail photographique est né ici de la
confrontation physique avec les éléments, des sensations avec une
nature qui impose l’humilité. Ces montagnes abruptes, ces vallées très
encaissées, sont sans doute parmi les seuls espaces proches que l’homme
ne peut conquérir, modeler et façonner à son gré. Il faut juste s’y
glisser avec respect, et rendre compte de la puissance qui s’en dégage,
presque s’y soumettre. Et garder à l’esprit que nous sommes issus de
cette terre, de ces eaux fracassantes, de ces roches escarpées. Elles
étaient là avant nous et seront là après.
L'exposition est composée d'une quarantaine de
photographies, mais aussi de textes manuscrits sur des calques qui
flottent dans la salle d'exposition comme un brouillard. C'est en se
déplaçant entre ces calques que l'on peut découvrir les images, un peu
comme en montagne, où les choses vous apparaissent au détour du chemin.
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